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citoyen libanais
4 février 2018

Téhéran la désacralisation en marche.

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La première lecture du dernier mouvement de protestation en Iran est aisée. Une classe pauvre ou appauvrie prend la rue. En cause, la corruption du régime, le contrôle des institutions religieuses et des gardiens de la révolution sur plus de cinquante pour cent de l’économie (chiffre difficilement cernable avec exactitude) qui investissent le capital national à leur propre bénéfice et celui de leur clientèle immédiate, ou hors des frontières. En 2017, 16 millions d’Iraniens avaient déjà quitté leurs campagnes pour s’agglomérer dans les ceintures de misères des grandes villes. En cause, une gestion catastrophique des ressources aquifères. Le président Rouhani a certes ramené l’inflation de 40 à 10%. Les exportations ont sensiblement augmenté depuis l’accord sur le nucléaire. Mais la population n’en ressent pas suffisamment les effets. Mahmoud Ahmadi Najad, pour calmer la grogne des citoyens au budget laminé, avait ouvert largement les vannes des subsides. Les caisses de l’état sont vides, son successeur est obligé de réduire les aides ou de les annuler. Preuve supplémentaire que l’embellie économique n’est qu’au bénéfice de l’élite, si les importations ont elles aussi augmenté, c’est surtout celles de produits de luxe.

Le régime a bien reçu le message, il émane cette fois de sa base, contrairement au « mouvement vert » de 2009 celui de la classe moyenne et éduquée. Il tentera des réformes économiques pour relever le niveau de vie général. Déjà le Guide a demandé aux Gardiens de la Révolution de réduire leurs activités économiques. Mais il butera certainement contre l’incompressibilité du budget des forces armées (23% du budget) et sur la résistance d’une nomenklatura qui ne voudra pas céder ses privilèges. Plus important est le changement en cours de l’état d’esprit de la population acquise au régime. Altération, celui-ci ne peut pas ou ne veut pas la voir, ainsi sont tous les régimes idéologiques. Le Guide a bien reçu les insultes à son égard, il les met sur le compte d’une effusion de colère temporaire et gérable. Mais quand les Iraniens conspuent pareillement le président Rouhani le réformateur et le Guide gardien de l’orthodoxie, c’est tout le système qui est en procès.

Comment on en est arrivé là ? Très rapidement, l’Imam Khomeiny va écarter du pouvoir tous les opposants laïques au Chah qui avaient participé à ses côtés à la révolution. Seront tolérés un temps puis écartés les partisans d’Ali Shariati, pour qui la révolution islamique pouvait être le moteur d’une évolution vers la modernité en réconciliant religion et idéaux marxistes. De même des figures tels Abdel Karim Soroush et Mohamed Shabestari, un laïc et un clerc, qui, tout en reconnaissant un rôle central à la foi, veulent soumettre la religion à l’épreuve des sciences humaines. Mais l’idéologie de la république Islamique ne peut se résoudre à des révisions de son socle d’idées arrêtées une fois pour toutes. Ainsi l’islamisation de la société doit être holiste. Aucun aspect de la vie ne peut échapper aux normes de la religion. Il y’eut donc, l’économie islamique, l’éducation islamique, l’art islamique, les droits de l’homme islamique, etc. L’instruction et la compétence ne sont plus alors le marchepied à l’ascension sociale, mais la conformité aux normes religieuse. Même dans le secteur privé, une adhésion à ces normes devient nécessaire pour exercer son activité. Dans un système où la compétence, qui est une variable et l’égalité par le droit de tout citoyen quelle que soit sa croyance ne sont plus les critères qui permettent l’avancée, mais le statut, celui de musulman pratiquant, deux effets sont inévitables.  D’abord le déclassement de la religion. Celle-ci reste avant tout une relation spirituelle avec une vérité transcendante, malgré toutes les tentatives d’y voir un (également) ordre du monde. En Islam plus encore que dans le Christianisme, Dieu à l’origine de toute chose, reste dans les limbes du ciel, mystérieux, dont il est interdit même d’esquisser les traits et ne s’est jamais fait homme. En faire un actionnaire d’une société commerciale en la qualifiant d’islamique, le déconsidère et le banalise. Ceci étant, on ne demande plus aux hommes associés de Dieu, que la conformité aux règles de la religion, comme le port de la barbe, le voile pour la femme, l’interdiction du taux d’intérêt. Déchargés de toute exigence éthique, ces faux dévots ne sont plus avec le temps, que majoritairement des opportunistes qui revêtent l’habit normatif pour accéder aux premières places. Graduellement se forment ainsi des corporations closes, des baronnies héréditaires ou cooptatives de la fonction publique, de l’accès aux marchés publics, de l’obtention de monopoles dans les affaires privées. La corruption s’installe, la performance individuelle décline, l’économie n’est plus compétitive et les exclus grandissent en nombre.

En Occident au 18ème siècle Friedrich Schiller écrivait déjà « notre culture doit nous ramener à la nature par la voie de la raison et de la liberté », ce que Max Weber théorisera par le « désenchantement du monde », c’est-à-dire que celui-ci ne répondait plus à un ordre souverain mystérieux, mais à celui de règles scientifiquement repérables. On retira à l’église ses prérogatives terrestres, on laïcisa les valeurs chrétiennes. Dieu garda son aura spirituelle et morale loin des affaires du monde. Même l’athéisme le plus radical, tel en Union Soviétique, finit par accorder une place à la foi incompressible pour certains.

Depuis, les progrès des sciences humaines et celles de la nature rendent encore moins acceptable l’explication ou la gestion du monde par la référence exclusive au divin. Et inacceptable que la validation du savoir scientifique soit accordée à des clercs pour conformité. Cela, ajouté à tout ce qui précède comme captation des richesses ou simple droit à une vie digne que s’accordent des groupes de prédateurs et associations au qualificatif islamique est une combinaison inflammable. Elle peut s’embraser non pas par un seul « désenchantement du monde », mais par une « désacralisation » radicale que les fausses idoles du régime ne pourront pas contenir.

Amine Issa

04/02/2018

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Commentaires
S
Merci pour cette analyse objective de la situation iranienne, qui renforce ma propre compréhension. De plus, j'adhère totalement à la proposition de Schiller.<br /> <br /> Au plaisir de vous lire.
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citoyen libanais
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