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citoyen libanais
9 avril 2017

Loi électorale, entre le bon grain et l’ivraie

Source: Flickr

A quoi servent des élections dans une démocratie moderne ? Elles sont la délégation de la volonté populaire souveraine à des représentants de celle-ci. Le principe de représentation est ancien, même si la souveraineté du peuple n’était pas la source ou la seule source de la légitimité de l’organe représentatif. Et même, quand cet organe l’a prétendu dans la pratique, il s’est parfois retourné contre le peuple. Je citerai deux modes de représentation qui éclairent notre réalité.

Le premier est celui des Etats généraux de l’ancien régime en France, composé de trois corps : la noblesse, le clergé et le tiers-état. Ce qui nous intéresse ici, est la façon dont ces trois corps votaient. Ils le faisaient collectivement, c’est-à-dire, il n’y avait que trois voix, une par corps et non pas 1139 voix (en 1789), celle de chaque membre de ces corps.

Le second est celui des systèmes qui prétendaient incarner la volonté générale. Celui de la Terreur Jacobine, et plus tard de ses avatars, celui des partis idéologiques et des démocraties populaires. Dans ces cas-là, la représentation s’est transformée en substitution. Un parlement partisan ou un dirigeant avaient la prétention d’incarner la volonté générale et par ce fait, annuler la distance qui existe entre le peuple et ses représentants. C’est une perversion du principe de représentation, car sans cette distance, le peuple perd son pouvoir de contrôle et de sanctions.

Au Liban nous pratiquons un mélange de ces deux modes. Les communautés, soit votent comme les trois corps des Etats Généraux, soit les députés issus de partis idéologiques, de familles féodales, prétendent se substituer à leurs mandataires.

On comprend mieux ainsi pourquoi ces mêmes partis phagocytent tous les organismes élus, CGT, syndicats, ordre etc. Ainsi ils confisquent toute forme de représentation. Egalement, en cédant aux instances religieuses les questions de statut personnel et de moralité, ils réduisent encore plus le champ de liberté des citoyens qui se situe en dehors de la sphère politique. Ils font de nous des incapables.

Ce système existe depuis l’indépendance du Liban. Sauf qu’à partir des années 60, une vague de protestation s’est amplifiée pour le contester. La guerre civile a arrêté ce mouvement. Et depuis 1990, jusqu’au retrait de l’armée Syrienne, ce système s’est solidifié. Les gouvernants pratiquent à notre égard la politique de l’endiguement que Georges Kennan avait imaginée pour étouffer l’Union Soviétique.

Peu de libanais sont inconscients de ce fait. Mais les pratiques d’endiguement si bien rodé et l’absence de porteurs d’un système de remplacement, nous maintiennent dans cette dépendance aux maîtres. A cette soumission, chaque communauté, selon son habitus culturel qui la distingue, trouve un exutoire. Il ne faut pas pour les chiites, résumer leurs adhésions à la politique du Hezbollah comme uniquement une adhérence à son idéologie. Face à un quotidien pénible, ils se réfugient dans la sortie de l’histoire qui ne connait que deux moments, l’un figé, Karballa et l’autre hypothétique, la parousie du Mahdi. Cette suspension de l’histoire exige le sacrifice du temps vécu et le sacrifice de soi tout court. Pour d’autres, c’est la perpétuation du mode tribal et de la rébellion contre la loi commune, celle de l’état, insatisfaisante car injuste. Pour les sunnites, il existe plusieurs niveaux d’échappatoires qui peuvent se recouper. Celui de l’hédonisme par la consommation, l’appartenance à une arabité mythique qui transcende l’appartenance au système libanais. Et pour les plus désespérés la séduction de l’utopie du califat et du nihilisme suicidaire dans des batailles perdues d’avance et l’autodestruction des kamikazes. Chez les chrétiens, c’est également l’hédonisme par la consommation et l’exil intérieur pour les partisans de la séparation, ou l’exil extérieur pour ceux qui le peuvent.

Tout ce qui précède n’est peut-être qu’une gymnastique intellectuelle sans fondement. Comment évaluer alors ce que les libanais veulent vraiment ? Par les élections. Mais selon quelle mode de scrutin ?

Le scrutin uninominal à deux tours. Il entend autant de circonscription que de députés. En réduisant le nombre de votants par candidats, il permet aux candidats indépendants, sans grands moyens financiers, de mener une campagne et d’être les porteurs d’un changement du système. La campagne ne sera plus des slogans affichés sur des panneaux et débités par des porte-paroles, mais une confrontation, un face à face entre le candidat et les électeurs. On passe ainsi du seul discours au débat. Le candidat ne peut plus débiter des poncifs, mais devra argumenter et convaincre. L’électeur retrouve la parole, questionne, interpelle, évalue, demande des comptes pour les promesses non tenues. Il redevient sujet actif et non plus un individu asservi. Il recouvre son libre choix et retrouve sa dignité.

Si les électeurs après cela réinstallent les mêmes, c’est qu’ils le souhaitent. Je me permets d’en douter à la seule constatation qu’aucun parti n’a proposé ce mode de scrutin. Il est encore temps de militer pour ce mode de scrutin, les moyens de le faire sont nombreux. Que les sceptiques ravalent leur sarcasme, à l’ordre des ingénieurs (50000 adhérents) l’élection de Jad Tabet est le résultat d’un programme convaincant, d’un discours délivré directement aux électeurs, d’une campagne habile et d’un activisme batailleur. Les indécrottables incrédules, vont prétendre que le candidat indépendant a gagné grâce aux dissensions au sein de la coalition des partis. Mais se jouer de la compétition de ses adversaires, n’est-ce pas une des règles du jeu démocratique ?  Entre l’idéalisme béat et le cynisme, il y’a la politique, la vraie.

 

Amine Issa

09/04/2017

Commentaires
S
Votre description de la situation libanaise est toujours passionnante. Notre pays a un attachement profond pour le vôtre, ne variant pas selon les majorités au pouvoir.<br /> <br /> Le mode de scrutin est aussi une affaire pour nos politiques. La quatrième République, parlementaire, dominée par la gauche, en rivalité avec le Général De Gaulle, a opté pour le scrutin proportionnel qui avantage les partis, leurs "appareils". L'instabilité et l'impuissance en furent les conséquences. À son retour en 1958, De Gaulle a fait voter une constitution pour un régime présidentiel, et un scrutin uninominal à deux tours, qui sélectionne des personnalités avant leurs idées, qui comptent, bien sûr. Mais le pouvoir qui en résulte a plus de liberté, de responsabilité, et d'efficacité. Il est accusé de se libérer de l'opinion, qui se retourne vite, effectivement. Les peuples ont besoin d'être gouvernés, mais n'aiment pas ça.<br /> <br /> La campagne présidentielle actuelle oppose des partisans des deux systèmes, parlementaire, et présidentiel. À chaque échéance, la question se repose. Mais le camp vainqueur apprécie la pratique Présidentielle et oublie ses critiques théoriques.
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