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citoyen libanais
17 septembre 2010

Bachir Gemayel

Les mêmes cérémonies, chaque année, depuis vingt-huit ans. Le même absent, depuis vingt-huit ans.

Ses adversaires lui reprochent d’avoir unifié les régions Est et d’avoir perdu le Nord chrétien, dans le sang. Cela est vrai, et ils ont raison. Mais connaissez-vous un seul mouvement de résistance qui n’ait pas connu de meurtrières querelles de chefs? C’est regrettable, mais ça n’ôte en aucune façon le crédit à ceux qui sont morts pour défendre une certaine idée du Liban. Le second reproche qu’on lui adresse est sa collaboration avec Israël. Car c’est de cela qu’il s’agit, quelle que soit la teneur péjorative du terme, et non pas d’une alliance. Pour l’histoire, rappelons qu’au moment où le chef des Forces libanaises consacrait ses contacts avec Israël, la situation politique au Liban était la suivante. Après la visite, en 1977, d’Anwar el-Sadate à Tel-Aviv, la Syrie s’était réconciliée avec L’OLP et, ensemble, avec le mouvement national, rêvaient de nouveau d’une solution militaire pour réduire les Forces libanaises comme le préconisait Kamal Joumblatt avant qu’il ne soit assassiné. Les Arabes en concert, sauf l’Egypte isolée et fort inutile, condamnaient les Forces libanaises, tout en finançant et armant leurs adversaires. Louis de Guiringaud, ministre des Affaires étrangères françaises, accusait les Forces libanaises de provoquer l’armée syrienne au Liban, et les cercles du pouvoir aux Etats-Unis considéraient Bachir Gemayel comme un «chef de bande» à éliminer. Israël offrit ses services. Pouvait-il refuser? Entre une mort programmée et dîner avec le diable, avait-il vraiment le choix? Non, et c’est d’ailleurs contraint qu’il franchît le pas. Tous ceux qui ont vécu cette époque se souviennent de l’absence totale de confiance qu’il avait en Israël, absence d’ailleurs partagée par les Israéliens. C’est bien pour cela qu’il nia cette collaboration. Et quand Menahem Bégin voulut récolter les dividendes de sa campagne militaire et lui imposer un traité de paix humiliant, c’est le président de la République, de toute la République, qui lui tint tête à Nahariya, le 1er septembre 1982. Il fut assassiné quatorze jours plus tard. C’est pourquoi, s’il ne faut pas nier cette collaboration, je trouve inutile de s’en vanter, quand le premier intéressé, Bachir lui-même, le fit à son corps défendant, connaissant la duplicité d’Israël. D’ailleurs, si le résistant et le promoteur qu’il fut, d’un nouveau pacte national tant le précédent avait montré ses limites, a été trahi, c’est bien par ses héritiers politiques. Ceux-là, fourvoyés dans des querelles de pouvoir, ont finalement livré à la volonté internationale et à la tutelle syrienne la dernière parcelle de territoire libanais libre de toute présence étrangère. Cette parcelle libre que  jalousaient secrètement, à l’ouest de Beyrouth, plus d’un adversaire de Bachir Gemayel. Ce qui reste quand même étonnant, c’est que cette relation avec Israël lui soit reprochée à lui seul. Pourquoi le même jugement n’est-il pas adressé à l’Iran qui, grâce aux armes qu’Israël lui livra, put tenir tête à l’Irak, le héros du front de refus contre Israël? Pourquoi, lors de la guerre de la Montagne, alors qu’il était clair que les Israéliens voulaient punir les chrétiens, ils le firent à l’avantage de Walid Joumblatt sans que rien ne lui soit reproché? Pourquoi, quand le mouvement Amal et la Syrie attaquèrent les Palestiniens à Tripoli et dans les camps à Beyrouth, terminant le sale boulot entamé par les Israéliens en 1982, on ne les accusa pas de faire le jeu d’Israël? Comment se fait-il que l’émir du Qatar reçoive Tzipi Livni et Shimon Pérès, promoteurs de l’agression sauvage de 2006, et soit en même temps accueilli en héros par le Hezbollah à Bint Jbeil? Quand Le Hezbollah et Amal s’entretuèrent allégrement, ne comblaient-ils pas d’aise les dirigeants israéliens? Le 7 mai et les incidents de Bourj Abi Haïdar, ne sont-ils pas un baume au cœur d’Israël?

On répondra certainement par des «oui, mais cela est différent, parce que…». De qui se moque-t-on? En politique, c’est l’effet qui compte et nullement l’intention. Que ceux qui jettent la première pierre balaient avant tout devant leur porte.

Tous ceux qui se targuent, depuis 1982, d’être les champions de la souveraineté du Liban, de la refondation de la République, sont quelque part redevables à Bachir de les avoir précédés et d’être mort, avec d’autres, pour cela. Encore une fois, il entendait tout le Liban, avec tous les Libanais. Le 14 septembre 2010, ceux qui se sont souvenus de lui devant les micros, ont-ils capté ce message? Ou Bachir Gemayel était-il encore absent pour la vingt-huitième fois?

 L'Hébdo Magazine

17/09/2010

Amine Issa

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