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citoyen libanais
3 décembre 2017

Des battants aux frontières du Liban

ersal (50)

Samedi 25 novembre, Je me rends au Hermel, invité à une soirée de fiançailles. La maison et ses habitants sont modestes, mais la générosité de l’accueil est grande. Les hommes sont autour du fiancé, les femmes très peu voilées, autour de sa future épouse dans une autre pièce. Ainsi le veut la tradition de la séparation des sexes et de surcroît le moment est solennel. Mais cette séparation, avec le va-et-vient entre les deux pièces, les femmes très peu voilées, toutes en beauté et le brouhaha des rires et félicitation, relève plus d’un gai folklore que du respect tatillon d’une règle puritaine. Dans le reste de la maison et le jardin, les genres se mélangent et les regards s’échangent. Le salon des hommes est long et étroit, au fond de la pièce sur un mur, une photo d’un homme en prière et à côté, La « Cène » qui représente le prophète Issa et ses douze apôtres. Ont-ils inspiré les douze imams de la lignée du prophète ?

Un homme qui vit au Canada est interrogé par un autre sur son adaptation à son pays d’accueil. « C’est très difficile » lui répond-il, « Ils ont une culture très différente de la nôtre. « C’est-à-dire ? », demande le second. Je m’attends au pire ! « Ils respectent la loi, ne brûlent pas de feux rouges, ne jettent rien dans la rue… ils ont un sens du bien commun ». L’autre de renchérir « Oui, nous en sommes encore loin ! ». Deux autres messieurs bavards. « J’ai deux enfants martyrs » dit l’un avec une certaine fierté dans son modeste sourire. Mais ses yeux sont éteints et tranchent avec le mouvement de sa bouche et ses paroles. La douleur lui voile le regard, le martyr de ces enfants n’est pas la bénédiction qu’on sert sur les plateaux de télévision ; en tous les cas pas pour ce monsieur.

Rentre le père de la fiancée ; tout le monde salue « Abou Ali ». Il a invité tout le quartier, certains ne sont pas sûr du nombre d’enfants qu’il a. Il ne se fait pas prier pour le dire. « Ali l’ainé est cardiologue, L…la fiancé est pharmacienne, K…est ingénieur, F…est physiothérapeute et A…étudie le journalisme et le théâtre ». On le félicite. Abou Ali est un ancien soldat, il reconnaît sans honte, savoir à peine lire et écrire. Comment aurait-il honte !

C’est l’heure du repas, la nourriture est posée sur deux longues tables. Les plats ne sont pas variés, mais abondants. Malheur à celui qui se lèverait de table sans avoir mangé trois fois à sa faim.

Dimanche 26 novembre. Je suis à Ersal, un village tout en béton, laid, coincé dans une cuvette. Les rues sont tortueuses et pleines d’ornières. Je traverse le village et me rends directement dans le « jurd ». Un paysage fabuleux. Une succession de douces collines et des dizaines de milliers de cerisiers. Pas une seule construction si ce n’est quelques chambres d’agriculteurs en pierres de tailles. S… qui m’accompagne me montre les fortifications des islamistes et du Hezbollah. Je ne suis pas stratège. Mais ce qu’il me dit et ce que je vois, ne colle pas avec ce que la presse et les partis nous ont assené. Quand je lui parle de combattants islamistes nombreux, armés et déterminés, il a le petit sourire de celui qui connaît son « jurd » et qui ne se laisse pas conter. « L’Armée, si on ne l’avait pas retenue, elle les auraient balayés en quelques jours ». L’intuition, le bon sens et le réalisme du paysan, qui n’a de préoccupations que la bonne santé de ces arbres et de sa famille.

Au retour il m’invite chez lui. Halimé allume le poêle dans le « salon ». Il ne fait pas froid, mais il y a un visiteur. Thé et abricots secs. Halimé tisse des tapis sur un métier en bois. Des motifs orientaux et de la laine de qualité. Elle vient de rentrer d’Égypte où elle a participé toute seule à une foire. Elle importe sa laine, la tisse, et s’est associée avec d’autres femmes pour vendre leur production dans les belles boutiques de la capitale. Halimé et ses amies sont à peine lettrées. Elle me montre sur son I Pad, les différents modèles qu’elles produisent. Elle aime son métier, ses tapis et son revenu est décent, elle ne se plaint pas. « Évidemment, on pourrait faire plus. On ne demande pas de l’argent à l’Etat, juste s’il pouvait nous aider à promouvoir nos produits ». Mais Halimé, depuis que le canon s’est tu et qu’Ersal n’est plus un sujet exploitable jusqu’à la corde, ne sait pas que l’État a oublié même le nom de son village. Quant à s’intéresser à ses tapis !

J’ai rencontré donc des Libanais aux confins du Liban, oublié de tous, mais debout. Des battants et des gagnants. Si vous cherchez des candidats, je vous indiquerai leurs adresses. Eux au moins ils « font » !

 

Amine Issa

03/12/2017

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Commentaires
S
Merci pour cette belle et profonde description d'un mariage musulman, dont j'ai vécu un petit nombre et maintenant ancien d'expériences, au Maroc, où j'ai passé une partie de ma jeunesse. Le mariage est pour toute l'humanité, une grande affaire, longtemps plus sociétale qu'individuelle, alliance de familles, avant celle d'individus, supposés, de nos jours, s'aimer.
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citoyen libanais
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